Le temps de la Papesse.

Archétype de marque, tarot & archétarotype.

La papesse. Qui est-t-elle ? Un personnage. Une lame de tarot. Un arcane majeur. Une énergie en puissance. La papesse emboite le pas au bateleur dans le Tarot, ensemble de cartes à jouer sublimes apparues aux alentours du 15ème siècle en Europe. Celles-ci n’ont cessé de nous obséder depuis. Fertilisent arts, culture, psychologie.

Le saviez-vous ? Un jeu de tarot spécial a été commandé pour le James Bond Vivre et Laisser mourir. Réalisé par l’artiste illustrateur Fergus Hall en 1976, The Tarot of the Witches ou le James bond Deck aurait été initialement commandé à… Salvador Dali !

Imagerie mystique, profane et mystérieuse ? Esthétique renversante ? propriétés divinatoires ? Nul ne saurait véritablement résumer l’intensité de la fascination exercée par cet enchevêtrement de personnages, symboles, couleurs, numéros , bien étranges à la vérité. Si parfaits qu’ils semblent avoir été forgés par quelque Dieu ; ou par un homme/femme en pleine crise d’épiphanie. Figurez-vous que l’engouement pour cet art divinatoire ne se réduit pas à un petit groupe d’initiés ou d’illuminés. Bien au contraire :

  • 58% des Français, déclarent croire à au moins une des disciplines de parascience, à savoir l’astrologie (41%), les lignes de la main (29%), la sorcellerie (28%), la voyance (26%), la numérologie (26%) et la cartomancie (23%).1
  • ¼ des Français ont déjà consulté un spécialiste (26%) au moins une fois au cours de leur vie, dont 18% pour de l’astrologie, 14% pour de la voyance, 10% pour de la cartomancie, et 6% pour de la numérologie2
  • La vente des livres ésotériques a crû de 60% et ce genre littéraire attire les 25-30 ans contrairement aux décennies précédentes. Fait intéressant : le rayon ésotérisme supplante le rayon religions.3

Ce phénomène touche également :

  • l’Europe centrale et méridionale
  • l’Amérique latine (Argentine/Chili)
  • les Etats-Unis
  • l’Australie
  • le Japon : 38,9% des Japonais privilégient  le palm reading (lecture de la paume) tandis que 20,4% d’entre eux plébiscitent les cartes de tarot, comme leur outil divinatoire de prédilection !  (Mystic mag, septembre 2022).

Le « tarot africain »   quant à lui (il n’a d’africain que le nom) relève plus du jeu que de la divination proprement dite. Peu de données existent d’ailleurs sur la pénétration du tarot en Afrique bien que certains, comme Antoine Court de Gébelin au 18ème siècle, font de l’Afrique (Egypte) son berceau.

Signe des temps, désir de réenchantement du monde, recherche de nouvelles formes de spiritualité et de sens face au chaos ambiant ? Volonté de retisser un lien avec une sagesse/un sacré archaïque ? Une chose est certaine, le tarot affiche une insolente permanence.

Un exploit, vous en conviendrez, en nos temps de courte mémoire !

Tarot et archétype, archétarotype.

Je n’explorerai pas la dimension divinatoire du tarot  ici. (je propose d’ailleurs à mes clients, en fin de projet, une lecture de tarot. Histoire de partager une passion que je nourris depuis plus de vingt ans ; de les acculturer à cet univers aussi coloré que symbolique).

Alors quoi ?

Les cartes du tarot (78) font vivre des personnages. Ceux-ci nous ressemblent étrangement en dépit de certains atours et attributs curieux. (vous ne vous promenez pas par exemple avec un faucon juché sur l’épaule). Si c’est le cas, envoyez-moi un message quest@2ruesaint-georges.com 😊

Blague à part. Ces personnages sont archétypaux.

Je dis bien archétypaux et pas stéréotypés. Archétype, « type primitif, modèle » vs. Stéréotype : image fixe, figée.

« Une image originelle,

existant dans l’inconscient »

Nous le savons, l’idée d’archétype prend de la résonance avec le psychanalyste Carl Jung. Les archétypes constituent, selon lui, des représentations symboliques universelles s’enracinant dans un inconscient collectif. 

Dans une terminologie à la richesse sémantique et poétique profonde, Jung évoque ainsi le Soleil, l’Enfant-divin, le Soi, la Grande Mère , l’animus, l’anima, l’arbre de vie, l’ombre, etc. Ces différents archétypes sont/seront interprétés sous forme de motifs culturels multiples et en fonction des époques.

On leur doit ainsi la naissance du branding archétypal dans les années 2000 via les 12 figures suivantes :

Le Héros, le Rebelle,l’Innocent, le Sage, le Créateur, l’Explorateur, l’Amoureux, le Magicien, le Nourricier, le Quidam (M. & Mme Tout le monde), le Fou, le Dirigeant.

Chacun d’eux a une vision du monde à défendre, un problème à résoudre, des stratégies personnelles d’action.

Un archétype de héros ? Pensez évidemment Nike : cap sur la victoire via le dépassement de soi. Go Pro ? Un bel exemple archétypal d’explorateur. Harvard Business Review emprunte ses traits de caractère au Sage dont l’objectif ultime est la connaissance du monde par le savoir. Coca-Cola rejoue à l’envi la candeur de l’Innocent. The Sandbox est une vraie ode à l’archétype du Créateur. (je schématise) On pourrait multiplier les exemples à l’infini : des milliers de marques ont en effet ces personnages pour socle fondateur.

Et vous, quel est votre archétype de marque ?

Vous n’avez probablement pas échappé à cette question. Je l’ai posée aussi.

De fait, les archétypes permettent de brosser à grands traits une ossature de marque.

D’en comprendre l’énergie.

D’en définir l’intention.

Pour peu que l’on ne s’enferme pas dans un formalisme, impropre à saisir toute la complexité d’une personnalité de marque. (je fais jouer les archétypes entre eux , les associe par exemple afin d’obtenir une matière plus dense).

Cependant nous disposons d’un autre outil phénoménal pour cela : le tarot.

S’il existe des correspondances directes entre les 12 archétypes de marque et certains arcanes majeurs du tarot (le bateleur et le magicien, l’empereur et le dirigeant, le fou et le ‘jester’, l’amoureux, etc.), d’autres figures émergent et demeurent inexploitées.

A quand par exemple une marque construite sur l’archétype de la Papesse ? Découvrons ce personnage fascinant. Le monde a plus que jamais besoin de son énergie !

Tarot de Marseille

Le nom.

C’est une femme, la première à apparaitre dans le jeu de tarot. Pas n’importe laquelle comme en témoigne l’emploi de l’article défini « La« . Son nom a une double signification : femme pape. Jusqu’au 16eme siècle en effet, l’existence historique de la papesse Jeanne est communément admise. Celle-ci, se faisant passer pour un homme, aurait occupé des fonctions pontificales entre 855 et 858 sous le nom de Jean VIII l’angélique avant de mourir en couches lors d’une procession.

Seconde acception de la papesse : une femme d’une haute autorité morale et à la tête d’un mouvement. Un chef de file.

La papesse = un leader. Une femme de pouvoir. De quel pouvoir s’agit-il ? Avançons.

La coiffe.

Sa coiffe, une tiare pontificale révèle son haut rang et son statut de dignitaire. (la version de Visconti-Sforza lui attribue d’ailleurs une sorte de férule papale). 3 étages, 3 couronnes la composent, c’est la trirègne (les papes l’ont effectivement portée jusqu’à Paul VI) symbolisant le pouvoir conféré à Saint-Pierre par Jésus-Christ : pouvoir temporel, pouvoir spirituel, pouvoir sur les rois et la chrétienté. (un pouvoir qui supplante celui de tous les autres !)

Sa coiffe élevée dépasse également du cadre de la carte. Comme si toute l’énergie du personnage était contenue dans le haut : le mental, le spirituel, la conscience. L’intuition. Le divin. Les lieux privilégiés de sa puissance. De son action.

« La papesse vit dans un ‘shadow’ monde… l’inconscient, l’imagination, le moment entre le sommeil et le réel. Elle ne règne pas sur les choses matérielles de la vie de tous les jours, elle règne sur ce qui nous influence. C’est une figure de pouvoir immatériel ».4

Le vêtement.

Son corps entier -y compris les pieds- se dérobe au regard, à l’exception de ses mains, de son visage. Ses cheveux imperceptibles disparaissent sous un voile, typique de la coiffure des femmes nobles du moyen âge, religieuses ou non.

La papesse a clairement dépassé la matière. La sensorialité de son corps.  Sa dimension charnelle. Là n’est pas son propos.

La carte nous la présence assise : elle est ancrée dans un réel qu’elle semble d’ailleurs dominer. Placidement. Ses enjeux à elle se trouvent tout simplement ailleurs. Et elle choisit sciemment de montrer autre chose d’elle-même. Elle ne se situe ni dans la maternité triomphante ni dans la sensualité envoutante, le pouvoir conquérant, la virginité illuminée, la sainteté hystérique, l’ensorcellement magique.

La papesse assume en effet un autre féminin. Lequel ?

L’œuf blanc , derrière elle, nous en dit plus. Elle couve le nid de tous les possibles. Elle est enceinte d’elle-même. Du monde. Dans la solitude méditative de la chambre. Où s’élabore sa transformation secrète. La papesse, c’est la matrice créatrice primitive.

Le livre.

Le livre posé sur les genoux de la papesse est ouvert. Elle ne le regarde pourtant pas. Est-elle perdue dans un moment de réflexion, de contemplation ? Ou en connait-elle déjà le contenu ? S’ennuie-t-elle ou pense-t-elle que la vraie connaissance n’est pas seulement à trouver dans le livre ? Et plutôt dans l’intuition ? D’où son regard  aussi énigmatique que le sourire de la Joconde, sur la droite…

La papesse détient les clés de la connaissance du monde. Elle perce à jour les apparences.  « Elle est la grande mère archétypale, la femme qui n’a pas perdu le contact avec la vérité ancestrale ni avec les lois fondamentale de la nature sauvage. ». Elle rime avec gestation, intuition, silence, méditation. En un mot : substance !

Mais pourquoi l’a-t-on délaissée ?

La papesse ne se donne pas d’emblée. Exigeante, elle nécessite du temps, de la réflexion. Elle refuse la facilité. Autant d’éléments qui rebutent dans une société de l’instant. Du immédiatement visible. Du spontanément compréhensible.

Il y a plus.

La Papesse pâtit/ a pâti de tous les stéréotypes accolés à la femme. Compliqué de voir en elle une icône sexuelle, une ‘power woman’, une prêtresse mystique, une féministe… En bref, de l’enfermer. Et comment travailler avec ce personnage apparemment austère, n’offrant d’autre part aucune rétribution ou gratification rapide ?

La papesse est une très mauvaise candidate aux likes !

« Les gens aujourd’hui recherchent ce qui va dans le sens d’une consommation d’excitation et d’information immédiates, la papesse ne répond pas à ce besoin-là. Elle ne touche à aucune forme d’excitation. Le diable, c’est sexy, l’ange nous éblouit de mille feux. La papesse… c’est un peu sépia, un peu gris. Avec elle, il y a un côté initiation, abandon de soi, renonciation à une forme d’égo, etc. Elle nécessite de prendre le temps, de creuser… le contraire de ce que veulent les gens! En plus la papesse, engoncée dans ses voiles, ce n’est pas la femme telle qu’on l’imagine ».5

Le temps de la Papesse.

Poème synesthésique. Designer: Cheyen Calasans Modèle: Lou-Blue Calasans

  • Pourtant la papesse contient en elle toutes les femmes. Ou plus précisément les précède.
  • En cela réside la difficulté. Celle-ci ne rentre dans aucune case . Contrairement à la figure de l’impératrice qui est la femme de l’empereur, la papesse n’est pas la conjointe du pape (un autre personnage du tarot portant le numéro 5). Insoumise, elle ne répond à personne. A rien. Aucune loi ne la soumet si ce n’est celle de l’univers. Dans lequel, elle trône, en instance de quelque chose de puissant.
  • Archétype de la grande mère par excellence, la papesse incarne le réservoir énergétique, en lien avec la nature et le cosmos, le ressourcement matriciel.

En ce sens, le fameux « féminin sacré » en vogue depuis quelque temps semble lui emprunter de nombreux aspects. Cherche à renouer avec sa leçon ancestrale…

Le monde serait-il donc plus mûr aujourd’hui pour la papesse ?

Pour ce féminin-là ?

Pour ce méta-archétype ?

« On est trop dans l’anti papesse, il faut la réintroduire d’une certaine manière. Elle est nécessaire. Elle contient toutes les informations, toutes les contradictions, tous les secrets dans son livre. Pour moi elle est le méta archétype. Il faut lever le voile de la papesse et un fil de ce que nous sommes apparaitra ».6

Poème synesthésique. Designer: Cheyen Calasans Modèle: Lou-Blue Calasans

Notes

1, 2 et 3 : sondage de février 2020. Institut d’études opinion et marketing en France et à l’international. (IFOP)

4, 5, 6 : entretien avec Samer Zakharia, Créateur MAISON FLAMEL, Maison Douze et Brand Designer

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