Et si on arrêtait de parler?

Apologie du silence comme pouvoir.

A la FNAC l’autre jour, dans la file d’attente. Mon regard balaie négligemment le comptoir derrière lequel s’affairent des vendeurs. A intervalle régulier, le cri caractéristique de Tarzan déchire l’air de ses accents gutturaux. Le son semble provenir d’un « device » quelconque.

Le vendeur agacé à son collègue : « Quelqu’un peut désactiver le son de ce truc ? ». J’étais assez d’accord, même si mon enfance a été marquée (croyez-le ou non) par Tarzan The Ape Man, le film en noir et blanc de W.S. Van Dyke, sorti en 1932.

Le silence est d’or, la parole est d’argent.

Cet adage populaire a clairement perdu de sa véracité. (si on ne peut plus s’en remettre à la sagesse populaire, c’est officiel, je rends mon tablier). Nous vivons dans un brouhaha permanent, une rumeur diffuse du matin au soir.  Depuis le début de votre lecture, vous avez probablement déjà reçu une notification -parmi les 65 à 80 quotidiennes dont nous gratifient nos applications- bien que votre portable soit sur silencieux. (une blague, le mode vibreur s’avère aussi discret qu’une perceuse).

Bref vous le savez et les chiffres sont éloquents :

  • Coût social du bruit en France : 147,1 milliards par an
  • Impact sur les troubles du sommeil (54%), la gêne (40%) et les maladies cardiovasculaires (6%)
  • 2,5 milliards d’individus en déficience auditive d’ici 2050 si des mesures ne sont pas mises en place, selon l’OMS
  • 11 mois d’espérance de vie en bonne santé perdus à cause du bruit
  • Sensibilité accrue aux nuisances sonores chez 57% des français post confinement
  • Cartes de bruit : et oui, elles existent depuis 1990 ! Celles-ci évaluent les niveaux sonores de nos environnements quotidiens

Ce bruit généralisé n’est pas seulement l’apanage des métropoles mais aussi des campagnes. On se rappelle le coq Maurice dont le chant matinal avait conduit son propriétaire tout droit au tribunal, les cloches de ces vaches dont le tintinnabulement a coûté 100 000 euros d’amende à leur éleveur. Je pourrais continuer sur ma lancée en évoquant les crapauds ivoiriens pendant la saison des amours, criquets et grillons etc.. Mais la France a très récemment fait de ces sonorités rurales des éléments inaliénables du patrimoine sensoriel des campagnes. Autrement dit, il y a bruit et bruit.

Le saviez-vous?

La CIA a été mise à l’index pour l’usage de tortures auditives sur les détenus de Guantanamo : bruits sourds diffusés à un volume d’environ 82 décibels, seulement interrompus pendant 7 secondes et ce toutes les 45 minutes. Morceaux de musique joués en boucle, 24h sur 24. Dr. Dre, Eminem, Red Hot Chili Peppers ont apparemment fait partie de cette sinistre playlist.

Revenons à nos bruyants moutons.

Ce qui fait qu’un son devient bruit.

Quand je parle de pollution sonore, je ne me réfère pas seulement à la toxicité sonore liée aux travaux, aux transports ou autres bruits dits « de voisinage » (les orgasmes bruyants de mon voisin par exemple). Mais aussi du bruit que nous engendrons, en parlant, en écrivant, en pensant même !

Allons bon me direz-vous, le bruit n’a rien à voir avec la parole. Faux !  Techniquement et scientifiquement il n’existe aucune différence entre un son et un bruit. Tous deux sont des vibrations dans l’air ou dans l’eau que nous captons grâce à nos oreilles, avec plus ou moins d’intensité.

Ce qui fait qu’un son devient un bruit c’est qu’il est jugé indésirable. Que l’on ne veut pas forcément l’entendre. Et il existe malheureusement une multitude de sons que nous ne souhaitons pas entendre. Ils s’imposent à nous H24. Vous en conviendrez ?

Ni dauphin, ni chauve-souris.

Plus inquiétant. Faire du bruit, Faire grand bruit est devenu le nouvel impératif catégorique de notre société. C’est à qui s’égosillera le plus.

Chacun se sent donc tenu de ou habilité à prendre la  parole, quelque en soit son devenir. Comme si le silence consacrait l’indigence intellectuelle, la nullité de celui/celle qui l’adopte et dès lors sa disparition progressive.

Tout plutôt que le silence !

Alors les 2,5 quintillion d’octets générés par le monde chaque jour ne nous surprennent guère. Une masse considérable de contenus difficilement concevable par l’esprit humain. Qui double tous les 9 à 24 mois. Sans compter les 200 millions de messages vocaux par jour envoyés sur WhatsApp en plus des 100 milliards de messages écrits quotidiens sur la  plateforme…. et toutes les autres applications de messagerie existant sur la planète. Cela fait combien en décibels ?

De quoi faire éclater nos tympans. A moins d’être un dauphin ou une chauve souris. Car Dame Nature a conçu nos oreilles pour un monde silencieux.

Temps de parole vs. Temps de silence.

And the winner is…

Il est d’ailleurs symptomatique de constater qu’on ne comptabilise/mesure pas le silence (sauf en musique). Contrairement aux prises de parole/bruits qui font l’objet d’une évaluation frénétique. (Pensez au sacrosaint share of voice ou au sonomètre). Mais il n’ y a nulle part de « performance du silence ». On préfère au temps de silence le temps de parole. Le silence n’intéresse guère, à l’exception d’un public restreint d’acousticiens ou de bio acousticiens.

Pourtant penser que ce bruit communicationnel rime avec impact,  longévité ou existence revient à s’illusionner. Pire : tout le monde le sait, persiste et signe. L’inflation de paroles ne contribue qu’ à les banaliser, annihile la capacité à les mémoriser. Les rend paradoxalement inaudibles. Brouille la communication et ses messages tant nous sommes assourdis. Voire abasourdis. Même racine.

Car le but du langage est de communiquer.

De faire sens. Pas de faire du bruit, le son n’étant qu’un moyen.

Et il se trouve que le silence peut remplir cette fonction. #jeanlucsolere

Libérer le silence!

J’ai une solution radicale. Simple. D’utilité publique. Ecologique : renouer avec l’art du silence. Libérer le silence et pas uniquement la parole. Y puiser toute la force évocatrice de son message tacite. Pourquoi ?

  1. Sans silence, pas de parole. Les phrases doivent être entrecoupées de pauses pour permettre au sens de s’élaborer. A la parole d’être intelligible, à tous les sens du terme.
  • Sans silence, pas de dialogue. Il est nécessaire pour écouter l’autre. Sinon là encore, pas de communication possible.
  • Le silence donne à la parole tout son poids, sa gravitas. Celui-ci est d’ailleurs utilisé comme technique d’art oratoire chez les Romains. Pythagore, nous rappelle d’ailleurs Sénèque, exigeait de ses disciplines cinq années de silence afin de pouvoir prétendre comprendre ce qu’était la parole véritable !
  • Le silence communique ; il parle de vive voix, avec son phrasé propre. Prenons la musique par exemple, pleine de soupirs, demi-soupirs, silences ayant leur musicalité. Et quoi de plus « parlant » que 4’33’’ de John Cage, composé en 1952 pour l’illustrer ?

5. Le silence vient au secours de la parole. Savez-vous ce que c’est qu’une #aposiopèse ? Une chose que nous faisons assez souvent ! Quand nous interrompons notre discours, en signe d’hésitation, d’émotion ou simplement parce qu’on pressent que notre silence saura mieux exprimer ce que nos mots ne peuvent dire.

Mais le silence, c’est quoi exactement?

D’abord accordons-nous sur le fait que le silence absolu n’existe pas, sauf celui de la mort. Une des raisons probables pour lesquelles celle-ci nous plonge dans l’effroi. C’est aussi affaire de perception car l’oreille humaine ne peut percevoir les sons compris qu’entre 20 et 20 000 hertz.  Et même quand on nous enferme dans une chambre anéchoïde* ou dite sourde (dépourvue d’ondes sonores  à 99%), on parvient encore à entendre son pouls au niveau des tempes et son propre cœur. Sans parler de nos hallucinations auditives ou autres acouphènes.

Dans ces conditions comment donc définir le silence ? Existe-t-il seulement ? Cette question s’avère d’autant plus difficile  qu’il n’y a pas un silence mais des silences. Le silence de celui/celle qui ne dit mot et qui consent. Le silence accusateur ou réprobateur. Le silence respectueux, admiratif. Le silence du trop plein. De la mesure est à son comble. De la colère rentrée. Du mépris. Le silence méditatif. Le silence de la peur panique. De l’émotion intense…

Humm. Compliqué.

On voit qu’il serait réducteur de définir le silence comme l’absence de bruit ou de parole. A preuve. Vous voilà là en face de moi, sans un mot et ce silence résonne comme la voix de la castafiore !

Une intention signifiante.

En fait, le silence porte un message. Une intention.  Un sens. A ce titre il appartient pleinement au champ de la communication et du langage. Il n’est pas une interruption de la conversation mais un de ses temps forts, une de ses nuances, un de ses pouvoirs !

Heidegger nous dit d’ailleurs ceci : « Ce n’est pas parce que nous entendons que nous comprenons. Mais parce ce que nous comprenons que nous entendons. ».

Et si on écoute le silence pour ce qu’il est, nous comprendrons tout ce qu’il souhaite nous dire. Le sens, l’intention vont au-delà des mots.

Faire silence, c’est tout simplement choisir de communiquer autrement.

Minute et silence.

Le silence est fécondé par le temps.

Le 13 février 1912 au Portugal, 10 minutes de silence sont observées en hommage au baron Rio Branco, ministre brésilien des affaires étrangères, décédé quelques jours auparavant. C’est la naissance de la minute de silence. 10 ans plus tard,  le 11 novembre 1922, Raymond Poincaré, reprend ce principe à son compte en hommage à la commémoration de l’armistice.

La minute de silence a donc 110 ans 😊 Comment pouvons-nous la célébrer ?

  • En sortant le silence du champ exclusif de la mémoire. #heallo #romaindaumont
  • En réintégrant des temps de silence dans le champ du discours.
  • En s’autorisant des prises de silence.
  • En bannissant le verbiage.
  • En aérant nos prises de parole.
  • En réaménageant des espaces d’écoute authentique.
  • En laissant l’autre se reposer, absorber, comprendre.
  • En créant un horizon d’attente, en jouant le désir, la surprise.
  • En acceptant le temps de suspension et d’arrêt qu’impose le silence.

Alors, chut ! Un point c’est tout.

La semaine prochaine, je vous invite à découvrir Romain Daumont, créateur de l’application Heallo, et son regard sur le silence. Heallo permet de partager des moments de silence et de bienveillance avec les autres par la magie du toucher.

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