BK : Heallo, l’application que vous avez conçue, fait don de silence. Romain Daumont, êtes-vous un marchand de silence ? 😊
RD : Moi, ce que j’ai créée avec l’application Heallo, c’est avant tout un outil. Le silence c’est nous qui le faisons, pas les machines. Un outil pour faire 2 choses :
La première : faciliter le partage des moments de silence. Partager des moments de silence, ce n’est pas si simple, on ne le fait pas souvent, c’est normal d’ailleurs. Je n’ai pas conçu l’application pour que tous les matins on aille faire un petit heallo à quelqu’un (attention il y a plein de cas de figure où on peut le faire bien sûr). Mais ce qui était très important pour moi, à la différence de certaines applications qui font tout pour nous rendre dépendants, était de permettre à chacun.e. de l’utiliser quand il/elle veut, de savoir que l’application est là pour soi.
La deuxième chose : j’aimerais qu’on se fasse une autre opinion sur le silence. Souvent, quand on évoque une minute de silence, on l’associe à la mort, à une catastrophe. Par exemple on fait une minute de silence pour la mémoire de Samuel Paty. D’ailleurs en 1922, il y a exactement 100 ans, Raymond Poincaré déclarait qu’une minute, le 11 novembre à 11 heures du matin, serait faite partout en France. Il a officialisé le principe de la minute de silence dans la république française. Une fois de plus, c’est pour les morts de la guerre.
Mon cheval de bataille, c’est de faire que le silence ne soit pas uniquement perçu comme une manière d’ honorer la mémoire des morts. Mais de montrer que le silence peut aussi être un moment joyeux, où on se réunit, on se rassemble. Non pas juste pour penser au passé mais pour se donner de l’énergie pour l’avenir. C’est cette nouvelle façon d’utiliser le silence que j’ai envie de promouvoir.
BK : Comment ça marche concrètement ?
RD : C’est simple. Cela consiste à garder son doigt sur son écran de smartphone pendant 30 secondes minimum en continu puis à signer ce don de temps.
BK : Pourquoi 30 s ?
RD : Il fallait que ce soit assez long mais pas trop. Une minute c’est très long et, cela parait fou, les gens n’arrivent pas à se concentrer ! Notre temps d’attention est faible : au bout de 6 à 9 secondes, on a tendance à se déconnecter de beaucoup de choses (Bruno Patino en a longuement parlé). 30 secondes me paraissaient bien. En plus quand on partage une minute de silence au sens littéral, on partage la minute en 2 ! 30 secondes pour l’autre, 30 secondes pour soi !
BK : Il y a donc une relation très étroite entre le silence et le temps ?
RD : Absolument. On dit souvent que quand on s’amuse, le temps passe vite et quand on s’ennuie, que le temps passe très lentement. Le silence nous fait ressentir le temps comme jamais.
Parce qu’on accélère les choses en faisant du bruit, en étant dans l’action, dans le mouvement, même si le silence peut être en mouvement aussi. Les conversations, la musique, le bruit nous amènent parfois à nous dire : « Je ne vois pas le temps passer, je n’ai plus la sensation d’être en maitrise des choses ».
Le silence a cette très belle force, cette incroyable faculté, si on arrive à se le réapproprier, à s’en faire un ami, de nous donner le sentiment d’être en maitrise. Il peut faire peur car tout à coup, justement, on est face au temps. Face à cette immensité qu’on a devant nous. Il y a une forme d’abime… mais à partir du moment où on habite le temps, qu’on se sent là, bien ancré dans le présent, le silence fait vachement de bien !
BK : Le silence permet d’apprivoiser le temps ?
RD : Oui. Ce qui est important, c’est de savoir si c’est un silence imposé ou un silence voulu. Le silence imposé, c’est par exemple ce qui peut faire peur aux enfants la nuit. On leur dit « va te coucher », on met parfois des berceuses. Mais à un moment donné, à un âge donné, on ne va plus mettre de musique. Le silence se révèle à eux. C’est un passage où on n’est pas malheureux d’être dans le silence, on le vit bien. Le silence permet de prendre la mesure du temps ; et être capable d’apprivoiser le temps, c’est finalement maitriser sa vie.
Il y a d’ailleurs des gens qui font vœu de silence. Si on discutait avec eux, je suis sûr qu’ils nous diraient qu’ils sont heureux !
BK : Avec Heallo, il est question de bonheur ?
RD : On mesure les choses aujourd’hui avec le GDP, le PIB, le PNB. Tout est argent. Mais on commence de plus en plus à parler de la mesure du bonheur. C’est très important. Qui dit bonheur dit santé mentale.
Avec Heallo, je souhaite participer à l’augmentation du bonheur intérieur brut sur toute la planète ! J’aimerais concrètement par exemple qu’il y ait, d’ici la fin de l’année prochaine, 1 milliard de personnes connectées en même temps sur Heallo pour un moment de silence partagé. Les rassemblements publics avec des associations caritatives constitueront un temps fort de notre action. Des rassemblements joyeux, positifs. L’expression de notre générosité sociétale.
Je ne cache pas mon objectif : de la même manière que l’on peut parler, smser, de la même manière j’aimerais qu’on puisse « healler », voilà. Je veux créer un moyen, un classique… un « instant classic ».
On a besoin d’outils pour se sentir connectés en tant qu’espèce humaine et je pense que le silence et le toucher ont un rôle à jouer. Faisons-le de manière moderne avec cet objet (le téléphone portable) qui est une extension de notre corps ! Cela aura un impact positif et poétique, je le crois honnêtement.
Heallo a d’ailleurs noué un partenariat avec la Movember Foundation ayant pour objet la santé masculine et la prévention d’affections typiquement masculines. Le partenariat se fera autour d’une minute de silence. Stéphane Beaumont, le grand ambassadeur de cette association Australienne en France, souhaite faire un évènement digital autour de cette cause. L’idée : nous sommes tous unis dans le souhait d’avoir ces discussions importantes. Tous ensemble, on peut trouver collectivement le courage d’en parler. Cela parait paradoxal. Prendre un moment de silence … pour pouvoir en parler.
BK : Parler du silence, est-ce paradoxal aussi ?
RD : Non. On doit pouvoir en parler évidemment. Le silence est aussi riche que la parole. Il va avoir une puissance incroyable en fonction du moment, du lieu. Alors oui ! il faut savoir en parler pour l’utiliser, il faut en parler pour savoir comment l’utiliser. Pour les acteurs par exemple, le silence c’est hyper important…Les orateurs eux aussi savent qu’il faut marquer des silences. Il y a plein de choses à dire sur le silence !
BK : Mais au fond comment le définir ?
RD : Je dirai que le silence, c’est habiter le temps, pendant un temps, sans un bruit. L’ important c’est d’habiter en fait. le silence est loin d’être sans présence… mais oui, c’est ça, on l’habite.
BK : Le silence…ça parle ?
RD : Je pense à toutes ces expressions : le silence qui en dit long. Le silence éloquent. Quand on pose une question à quelqu’un et que la personne réagit en ne répondant pas et en vous regardant dans les yeux… Ou la la ! C’est plus fort que n’importe quelle parole ! (rires) Oui, le silence dit beaucoup de choses sur ce qu’on ressent. Il est par définition très contextuel. Sans contexte on a du mal à interpréter un silence.
BK : Et le silence peut il guérir ?
RD : Ce n’est pas le silence en soi mais c’est le silence avec une présence. Il permet de dégager cette énergie positive qu’on envoie à l’autre.
Quand on reste 30 secondes à ne rien faire sur son portable, quand on fait un heallo, on se donne cette chance de ne pas avoir un cerveau qui absorbe juste plus de contenus, plus d’images. On n’est plus en position de consommateur mais on devient acteur. Un acteur d’un nouveau type : on n’a pas besoin d’écrire, de réfléchir à sa structure grammaticale… On va juste ressentir et donner de la gratitude et de l’ amour à une personne, à un groupe de personnes, à une cause. C’est ce que je trouve intéressant. Cela guérit dans ce sens là.
BK : Comment concilier le nom de l’application Heallo (Contraction de Heal : guérir en anglais et Hello) avec votre vision positive, lumineuse et célébratoire du silence ?
RD : Peut être que le nom de l’application changera un jour 😊 Il a fallu faire un choix. Ce n’est pas qu’on soit tous malades et qu’on ait tous besoin de guérir ! 😊 il y a un coté bienveillant, positif et doux dans l’application. L’idée qu’en exerçant sa générosité, on se fait du bien et on fait du bien aux autres. J’ai voulu insister sur le côté guérisseur et bienfaisant du silence. Notre nouvelle tagline « Heallo, stay in touch » vient renforcer cette douceur. L’idée de toucher les gens, de garder le contact est essentielle. « Stay in touch » physiquement sur l’écran et « Stay in touch », garder le contact émotionnel avec ses proches.
Au début de Heallo, on a d’ailleurs eu un couple qui se servait de Heallo sans arrêt pour s’envoyer du love !
BK : La notion de toucher est très importante dans l’expérience Heallo…
RD : Je n’ai pas voulu un silence effrayant. Avec Heallo, on est à la conjonction du toucher et du silence . Un silence hyper chaleureux, hyper tactile. D’où le toucher, assez difficile à exprimer via nos outils numériques (même si cela va arriver avec le métaverse, le toucher a un devenir clé) pour faire sentir la présence des autres… Le toucher, sorte de manière de faire des « hugs » digitaux, nous semblait parfait. Le toucher dans des espaces de silence, des espaces où il n’y a rien d’autre qu’à ressentir. les mots seraient de trop. Ils gâcheraient le moment.
BK : Un silence qui enveloppe, qui touche en somme ?
RD : Qui enveloppe. Qui touche.
BK : Les gestes se passent de mots. Les gestes sont donc comme les adjuvants ou les alliés du silence ?
RD : Encore plus fort. Les gestes ne mentent pas. Les mots mentent. Et c’est ce que je trouve beau, dans un monde où on a tendance à dire tout et n’importe quoi, à parler pour parler, où on en rajoute.. où les gens veulent se sentir exister en disant des choses… qu’ils ne pensent pas forcément d’ailleurs…
Les gestes sont intentionnels. J’ai voulu redonner au monde digital un moyen sobre et simple d’être hyper authentique . En ce sens, Heallo a sa place dans le panel d’outils que nous avons pour nous exprimer.
BK : Quelle est la part de silence dans votre vie quotidienne ? Votre rapport au silence ?
RD : J’ai plaisir au silence. J’aimerais plus de silence dans ma vie ! Je me rappelle des moments de retraite durant lesquels j’ai passé deux ou trois jours dans une sorte de monastère. J’en garde un souvenir extraordinaire. Grâce au travail de la mémoire, on peut se créer des temples intérieurs dans lesquels on se replonge. J’ai ça dans ma vie.
Il y a plus. Au-delà d’être le concepteur de Heallo, je suis aussi un utilisateur de l’application. Elle me permet vraiment de mieux m’exprimer. J’ai eu plein de raisons différentes de l’utiliser. Pour une amie en difficulté, pour ma mère juste pour le plaisir, un ami avec lequel je me suis engueulé la veille…. J’utilise et partage le silence très régulièrement !
BK : Pourquoi Heallo ? Quelle est l’histoire , de l’idée originelle à l’application d’aujourd’hui ?
RD : L’histoire a commencé en 2014. Ma femme et moi avons perdu un petit garçon qui a vécu quelques jours. Il avait une maladie génétique. On le savait, on lui a donné sa chance. Il nous a procuré beaucoup de bonheur pendant quelques jours puis il a dû partir. Suite à ce moment, et même avant ce moment, le silence autour de ce petit garçon était très prégnant . Nos proches ne savaient pas comment réagir, nous-mêmes ne savions pas quoi leur dire…il y avait ce silence vraiment vraiment angoissant. Et puis j’ai réalisé une chose.
Il y a une injonction à s’exprimer. On nous dit souvent « Ne garde pas ça sur le cœur », « vas-y, dis les choses »… En fait j’ai compris que ce qui m’angoissait, était cette pression de la société qui nous enjoint à parler. Et moi je me disais : « Mais je n’ai rien à dire et est-ce qu’on va me le reprocher ? », « Comment vais-je être jugé par rapport à ca ? ».
J’ai eu un moment de révélation pendant les funérailles où j’ai senti qu’avec une présence bienveillante, mon silence et celui des autres étaient suffisants. Il n’y avait pas à en avoir peur. C’est un silence habité de bons sentiments et de choses positives.
Peu de temps après, j’ai réalisé qu’ il n’y a pas que dans ces moments là où on a besoin que les autres nous fassent savoir :’ je pense toi’, ‘je tiens à toi’ , ‘je t’aime’… Il y a plein d’autres occurrences où on aimerait le savoir…En même temps, les gens eux ne savent pas quoi dire. C’est sacrément dommage !
C’est là d’où m’est venue l’idée de créer une application, qui permet de manifester sa présence en silence, par le toucher. « C’est comme envoyer un sms vide » m’a dit un ami. Et il s’est amusé à m’envoyer des sms vides pendant un temps ! 😊 Cela n’a pas du tout la même chaleur sur Heallo. (sur Heallo on a rajouté un dessin, on sait qu’il y a 30 secondes passées, etc.) et surtout justement, le sms n’a pas été créé pour ça. Il fallait créer un nouveau medium qui puisse faire exactement ça.
BK : Qui gagnerait à se taire ?
RD : Nous tous. On gagnerait tous à un moment donné à nous taire, en particulier quand on est en colère, où on est emporté par nos sentiments ; on peut dire des mots et les regretter profondément après. Je t’aime, mais je t’ai dit des choses horribles. Et les mots ne sont pas faciles à effacer… tout de suite en tout cas. Ils restent, ils s’accrochent.
BK : Que ne doit-on pas passer sous silence ?
RD : Il y a plein de sujets sur lesquels il faut se faire entendre, élever la voix. Il y a des vagues de libération de la parole qui se produisent dans le monde. Elles sont évidemment très importantes, très saines. Heallo n’est en rien opposé à ça.
Mais Heallo vient aussi montrer qu’il faut certes savoir libérer la parole, mais qu’il faut aussi savoir se taire. On n’est pas que parole, on n’est pas que silence…
La parole divise, même s’il faut qu’elle s’exprime. Elle amène à la discussion, au débat, à la confrontation là où le silence profondément rassemble. Le silence a cela de beau qu’ il abolit nos différences. Tout le monde a la capacité de s’inscrire dans un moment de silence avec d’autres sans considération pour sa nationalité, sa couleur de peau, sa religion. C’est aussi çà que j’ai envie de donner.
BK : Comment passe t-on d’un moment personnel douloureux à un business model, à une entreprise, à un projet de vie ?
RD : Cela m’a pris beaucoup de temps. 5 ans. Entre le moment où j’ai eu cette première intuition, en octobre 2014 et décembre 2019 où une amie me dit : « Pourquoi tu ne crées pas ta boite ? ». Cette petite musique ne ma jamais quitté -d’ailleurs on n’a pas parlé de la musique-.
A toutes les personnes qui peuvent avoir, suite à un évènement tragique ou heureux une idée, une envie, un projet, ne le perdez pas. Si vous avez cette intuition, si elle se maintient au fil du temps, c’est qu’il y a un truc à faire.
« C’est un peu fou, je me suis dit, je n’ai jamais fait d’application mobile de ma vie ». Mais à un moment donné il y a cette fameuse phrase qui vient: « Si ce n’est pas toi, qui le fera ? et on se dit : « Il faut sans doute que je le fasse ». On enlève l’imposteur en soi. Ca réussit, ça ne réussit pas, on commence, on avance, on apprend en marchant.
BK : Romain Daumont, mille mercis pour ce bel échange !
RD : Merci à vous !
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2 réponses
Super article !
Thanks so much for your feedback! Much appreciated.
2 rue Saint-Georges